Dans une interview accordée à notre rédaction, Lancinet Magassouba, ancien Directeur de la police judiciaire, ex-enquêteur sur la question de génocide au Rwanda au compte des Nations Unies et membre de l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains (INIDH), a accepté de se prêter à nos questions. Dans cet entretien sans langue de bois, il a bien voulu nous rétrocéder des sujets portant entre autres sur son parcours, l’insécurité grandissante dans le pays, l’abolition de la peine de mort en Guinée, la criminalité dans les régions (le vindicte populaire), le phénomène des coupeurs de route et la grâce présidentielle récemment accordée à 120 détenus de la maison centrale de Conakry, par le président de la République, à l’exclusion de AOB et Fatou Badiar.
Lisez.
Présentez-vous s’il vous plait ?
Je suis Lancinet Magassouba, ancien cadre de service de police. J’ai fait mes armes à l’intérieur du pays. Quand je suis rentré à Conakry, j’ai été nommé Directeur de la Police judiciaire. J’ai été également directeur de l’école de la police deux fois. Ensuite, j’ai été directeur de l’Air et de la frontière guinéenne. J’ai été commissaire spécial de l’Aéroport, chef de cabinet du ministère de la sécurité et conseiller du directeur général des services de police. Avant d’aller aux Nations Unies en qualité d’enquêteur au RWANDA pour le compte des Nations Unies, cela a concerné la gestion de génocides où le RWANDA avait demandé à l’époque les enquêteurs de haut niveau qui allaient travailler au niveau du bureau du procureur du tribunal de la première instance de RWANDA. C’est là que je suis resté pendant 9 ans. Je suis également l’actuel membre de l’INIDH.
Aujourd’hui, l’insécurité bat son plein en Guinée. En tant que connaisseur dans ce domaine, quelles stratégies faut-il adopter pour freiner ce fléau ?
Pour parler de la riposte à apporter contre l’insécurité, je crois qu’il faut prendre un peu de recule. Lorsqu’on venait à la police, le problème d’insécurité était au point zéro. Pour une seule raison, parce qu’il y avait à l’époque beaucoup de services qui pouvaient lutter contre l’insécurité, à savoir : la police, la gendarmerie et la milice. Cette dernière était très importante qui avait au total 15 mille personnes. Les miliciens n’étaient pas de la police judiciaire, mais ils épaulaient les services de sécurité et permettaient d’avoir une maitrise systématique sur la sécurité afin de réduire au point zéro l’insécurité. Deuxièmement, il était très clair, celui qui commettait de façon volontaire les meurtres était jugé et exécuté là où vous avez commis l’acte. Donc, ça bouclé les gens dans leurs élans et les gens se gardaient pour faire des crimes.A l’époque, il y avait une structure qui gérait bien l’insécurité. A l’arrivée des militaires au pouvoir, il y a eu la dislocation de la milice et elle a été supprimée. Certains ont été renvoyés au niveau de l’armée, de la police et de la gendarmerie. C’est ainsi que les frontières ont été ouvertes, les gens rentraient maintenant et sortaient comme ils veulent. Ce qui a permis que tous les grands bandits se sont donné rendez-vous en Guinée. Donc, nous avons été confrontés à une poussée inhabituelle de l’insécurité. A l’époque, j’étais le directeur de la police judiciaire. Je me rappelle, on a été confronté à ce phénomène inhabituel. Et le Président à l’époque avait réagi pour dire qu’hier, il n’y avait pas de meurtre. Mais, aujourd’hui, il y a beaucoup de meurtres. Donc, qu’est-ce qu’il faut. Donc, les responsables de service de sécurité lui avaient fait comprendre que c’est au niveau du plan politique de faite qu’il avait ouvert les frontières.
C’est très appréciable, mais les problèmes persistent dans notre pays. Le président a demandé qu’est-ce qu’il faut, on avait répondu que comme c’est un phénomène exceptionnel pour nous, il faut des mesures exceptionnelles. C’est ainsi qu’il avait dit de faire des propositions. Et ces propositions ont consisté à créer des structures spécialisées pour lutter contre le grand banditisme. C’est ainsi que au niveau de la police, il y a eu CMIS qui a été créé avec l’assistance de la France. Au niveau de la gendarmerie, on a créé escadron mobile d’intervention. Ces deux structures se sont donné la main pour lutter contre le banditisme. C’est ainsi que Conakry a été débarrassé du banditisme. Ils se sont repliés à l’intérieur et ils ont pourchassé jusqu’à sortir dans le pays. Et l’accalmie est revenue en Guinée. Il faut reconnaitre par exemple au niveau de la police, on a reçu au même moment du JAPON 40 véhicules de marque Jupe et Land Cruiser qui étaient destinés à la lutte contre la drogue. Donc, c’est à l’occasion que ces véhicules ont été répartis entre les services de sécurité à l’intérieur et à Conakry pour rendre la CMIS performance et efficace. Les résultats, on a vu parce qu’on a reçu à booster les bandits hors de la Guinée. Entre temps, les choses ont évolué comme ça. L’école de police s’est arrêtée parce qu’il y avait pas de formation. Tous les cadres sont, petit à petit, partis à la retraite. Après 18 années avec l’arrivée du Pr Alpha Condé, avec des conséquences désastreuses sur le plan sécuritaire, puis qu’il n’y a pratiquement pas de professionnels aujourd’hui dans la police, les gens qui sont recrutés beaucoup ne font pas la formation. C’est maintenant que les problèmes commencent. La gendarmerie est en avance par rapport à la police puis qu’elle a deux écoles qui ne se sont jamais arrêtées. Le général Baldé a pris des initiatives très heureuses pour la gendarmerie. Du point de vue de formation, elles sont beaucoup plus en avance par rapport à la police. Les réformes de la sécurité et de la défense ont été lancées par le président Alpha Condé. Ce qui a permis à l’armée d’être dans un cadre républicain. Mais, la réforme n’a pas été aboutie d’abord au niveau de la police tout est sur le papier. Le président est en train d’exprimer sa volonté pour que ce secteur soit transformé comme il le souhaite. Comme je disais, cette réforme n’a pas porté fruit. C’est pourquoi les policiers sont malheureusement mal appréciés par la population. Donc, c’est cette tendance qu’il faut changer. Mais, il faut s’attendre à des résultats satisfaisants.
En tout cas, il faut former des gens. Et il faut toujours revoir. Il y a beaucoup de gens qui sont à la retraite, mais ils sont là toujours en service. Il faut rajeunir la police. Il faut créer une race à la police et il faut faire des recrutements rigoureux pour que les gens puissent initier à une formation initiale. Il faut encore des investissements dans le domaine des infrastructures. Il faut amplifier pour que les policiers puissent être respectés par la population. Et que cette population soit fière de leur police dans la rue. Donc, mettre les policiers dans certaines conditions du point de vue vestimentaire d’abord parce que c’est l’uniforme qui distingue les policiers et les autres. Pour le moment, rien ne va. Les reformes sont sur le papier. C’est la formation qui vient de commencer parce je dis et je redis, les problèmes de la police, c’est la formation qui est essentielle.
Selon vous, est-ce que l’abolition de la peine de mort est une bonne chose. Est-ce faut-il continuer cette ancienne pratique en Guinée ?
Je me souviens, quand j’étais à la direction de la police judiciaire. Il y avait le ministre de la justice qui s’appelait BARRY Bassirou, on avait décriminalisé beaucoup d’infractions. Donc, il y a des infractions qui étaient considérées co
mme le crime. Par exemple, ceux qui partaient couper les fils téléphoniques entre les préfectures et ceux qui coupaient aussi les fils à l’aéroport qui permettent aux avions d’atterrir. C’étaient considérés comme des crimes. Puisque quand un avion atterrit sans lumière, ça peut causer des conséquences. Tout récemment, le problème de la peine de mort s’est posé. Nous sommes dans une position ni d’abolitionnisme ni celui qui pratique de la peine de mort. Mais aujourd’hui, les gens savent qu’il n’y a plus la peine de mort. Ils vont en prison et les prisons sont poreuses. Et donc, ils ne subissent pas une sanction qui pourra les détourner dans cet état de faire parce qu’ils savent quand ils sortent. Ils vont commettre encore ces infractions. Nous sommes pris dans ce cercle vicieux. Les maisons et les prisons centrales sont poreuses, il faut des moyens et des reformes. C’est pourquoi le ministre de la justice a engagé des reformes pour revoir des services pénitentiaires afin de mettre les éléments qui vont être formés.Quand on se met dans un côté, il y a certains qui disent qu’il faut abolir la peine de mort, ils ont leurs raisons. Ceux qui disent aussi qu’il faut appliquer la peine de mort, ils ont leurs raisons. Mais, ce qui reste ce n’est pas en imposant la peine de mort que ça peut mettre terme à la criminalité. Deuxièmement, ils peuvent avoir des erreurs judiciaires. Quand vous prenez quelqu’un contre lequel tout le monde est convaincu qu’il est pour quelque chose, condamnez-le et puis l’exécuter. En fait quand on ré-ouvre le dossier, on se rend compte qu’il y a eu des gens qui ne devraient pas être tués. Moi, je suis pour l’abolition de la peine de mort.
La plupart des guinéens aujourd’hui se rendent eux-mêmes justice. C’est le cas par exemple de Kissidougou, de Kankan, de Siguiri, de Faranah…Alors, en tant qu’homme de droit, quelle lecture faite-vous ?
Vous savez, quand l’Etat est faible, les personnes qui sont chargées à l’application de la loi sont affaiblies. Aujourd’hui, les gens se font justice parce qu’ils n’ont pas confiance ni aux services de sécurité qui sont censés les protéger ni à la justice qui est censée de trancher quand il y a des problèmes de ce genre. En désespoir de cause, les gens se rendent eux-mêmes justice. Mais, c’est un phénomène qui est très grave d’où la nécessité de revoir les services de sécurité, de rendre ces services performants pour qu’ils puissent jouer leur rôle. Dans les réformes de la justice, il faut essayer d’avoir des prisons de sécurité pour quelqu’un qui tue. Même s’il sait qu’on ne peut pas le tuer, mais quand il rentre dans la prison qu’il soit sûr de la sanction et qu’il regrette ce qu’il a fait. Il faut qu’on ait les maisons de prisons de haute sécurité pour que les gens restent dans la prison et ils ne sortiront plus en tant qu’ils ne purgent pas leurs peines. Donc, pour contrer ce phénomène, il faut restructurer des services de sécurité et le domaine de la justice. Le président a fait ‘’ un Cheval de Bataille ‘’.
Un phénomène qui inquiète la population, c’est le cas des coupeurs de route. Selon vous qu’est-ce qu’il faut pour sécuriserles longs de nos routes en Guinée ?
Le problème de coupeur de route est un problème de la zone rurale. Donc, ça relève de la gendarmerie normale. J’ai vu une fois que les gendarmes avaient reçu les véhicules de grosse cylindrique auprès d’une centaine pour essayer de combattre ce phénomène. Mais ce phénomène est difficile à combattre parce que les effectifs ne sont pas suffisants pour arrêter ce phénomène. Normalement, il faut sécuriser les zones qui sont censées de développer les formes de criminalité. Tout dernièrement, j’ai entendu que Général Baldé était descendu en personne là-bas pour mettre en place un dispositif mixte pour contrer ce phénomène. Il s’inscrit dans cette logique pour essayer de mettre en place tous les services de sécurité pour freiner contre ce fléau.
Récemment, le Président de la république vient de gracier 120 prisonniers à l’à l’exclusion de AOB et de Fatou Badiar. Votre avis ?
Non ! Moi, je retiens quelques choses dans ce sens. Le président Alpha Condé a un pouvoir de discrétion. Donc, la grâce est un pouvoir discrétionnel. Il n’est pas obligé de gracier quelqu’un. C’est par la volonté qu’il accorde la grâce. Donc, on ne peut pas le taxer de l’envoyer à violer la loi en ne libérant pas quelqu’un qui, normalement, a été reconnu coupable d’une infraction et qui a passé devant une juridiction de façon anormale. Il faut éclairer les gens sur ça. Il n’est pas tenu de le faire et il n’est pas obliger de le faire. S’il veut, il libère et s’il veut, il laisse. Même si vous êtes dans une même condition, s’il le veut, il peut laisser l’autre et il te maintient. C’est une volonté. On ne peut pas le condamner parce qu’il n’a pas fait. Il n’a pas violé les principes ni les lois et il n’a pas violé les droits de l’intéressé.
Vous qui avez dirigé la police, quelle est la solution que l’Etat doit entreprendre pour assurer la sécurité de la population et de leurs biens ?
Il faut mettre en place les systèmes de prévention et de lutte contre la criminalité. Parce que la première, d’abord, c’est la prévention. Et quand la prévention échoue, on vient dans la lutte contre la criminalité. Alors, l’Etat doit engager des réformes. Ces réformes doivent être poursuivies pour voir les équipements, les conditions de travail et mettre à leurs dispositions des infrastructures qui sont adéquates. Pour faire des policiers les plus respectables. Je pense que l’Etat doit mettre en place encore au niveau des services de police pour essayer de relever ce secteur. La police a besoin de se relever. Il faut rajeunir la police. En tout cas, la police doit être formée en NTIC, parler au moins deux langues. Ensuite, qu’elle soit prête professionnellement.
Quel message avez-vous à lancer à l’endroit de la police, surtout aux chefs hiérarchiques ?
La police à besoin de cohésion. Sans elle, rien n’est possible. Parce qu’aujourd’hui, nous assistons à un déchirement. Il n’y a pas de cohésion au sein de la police du sommet jusqu’à la base. Et tant que la cohésion n’existe pas, tout va voler en éclat. S’il n’y a pas de cohésion, il n’y aura pas de discipline, d’engagement, de motivation et les gens n’auront plus confiance de leurs perspectives. Mais, il faut que l’exemple vienne d’en haut. Il faut que la hiérarchie d’abord fasse preuve de cohésion, de solidarité et de justice pour ne pas écarter et faire de l’exclusion ceux qui sont à la hauteur, professionnellement capables. Il faut les positionner pour que le service avance. Celui qui n’est pas à la hauteur, on ne doit pas l’écarter. Mais, il ne faut pas mettre quelqu’un quelque part où il doit rendre compte, alors qu’il n’a pas la capacité professionnelle. Donc, il faut que cette justice-là existe. Mais, cela doit commencer en haut. Et ceux qui sont en bas, on les redonne confiance afin qu’ils sachent que la solution c’est de se battre et d’être parmi les meilleurs. Il faut créer l’émulation, sans l’émulation rien n’est possible. Aujourd’hui, le secteur est un secteur complètement considéré, qui n’est pas en mesure d’accomplir sa mission. Pourtant, il n’est pas impossible de remettre la police au pied. C’est une question de justice et de détermination.